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6 juin 2011 1 06 /06 /juin /2011 18:15

Quelques extraits de l’article de Béla Bartók : Pourquoi et comment recueille-t-on la musique populaire ?  (Législation du folklore musical)

  


 

En 1912, j'ai découvert chez les Roumains de Maramures un certain type mélodique de coloris oriental, abondamment orné et en quelque sorte improvisé. En 1913, dans un village saharien de l'Algérie centrale, j'ai rencontré un style analogue, et bien que la ressemblance m'eût frappé dès l'abord, je n'osai voir là qu'une coïncidence fortuite. Comment supposer qu'entre deux phénomènes constatés à plus de deux mille kilomètres de distance, une relation de cause à effet fût possible? Plus tard seulement, au fur et à mesure que progressaient mes études, il m'apparut que le type mélodique en question se retrouvait également en Ukraine, en Irak, en Perse et dans l'ancienne Roumanie. Désormais, il était clair que l'hypothèse d'une concordance fortuite devait être écartée : d'origine indiscutablement perso-arabe, ce type avait pénétré jusqu'au centre de l'Ukraine, en suivant un itinéraire encore mal connu (nous ignorons en effet si pareille mélodie existe ou a existé chez les Turcs osmanlis ou chez les Bulgares).
  
Autrefois, lorsqu'on jouait ou chantait dans nos campagnes, ce n'était pas parce qu'il en prenait fantaisie aux paysans, mais parce que la coutume, c'est-à-dire la tradition, maîtresse absolue de la vie rurale, le commandait impérieusement. Voilà qui semble contraire à ce qu'on s'accorde, en général, à penser de ces manifestations purement instinctives. Mais la contradiction n'est qu'apparente : c'est instinctivement que les paysans se plient aux prescriptions de la tradition, et comme poussés par une nécessité inexorable. Ainsi, il fallait absolument que la Noël s'accompagnât du regölée, coutume populaire d'origine païenne, mais qui, après saint Étienne (premier roi de Hongrie, 1001-1038), se christianise de plus en plus, pour se confondre enfin avec les cérémonies paysannes de la Nativité et les chants de Bethléem ; il fallait que les noces fussent célébrées avec certains rites précis ; il fallait qu'aux moissons, on chantât des chants de moisson.
 
En général, les femmes en savent plus long et chantent plus correctement que les hommes, et cela pour plusieurs raisons. Les hommes se déplacent davantage, et la nature de leur travail ne les porte pas à chanter autant que leurs compagnes ; d'autre part, ils attachent moins d'importance à ces futilités que sont, à leurs yeux, les chansons ; la fréquentation plus assidue du cabaret ne contribue pas non plus à en faire les dépositaires d'un fonds considérable d'airs populaires ; enfin, il y avait dans le passé maintes catégories de chants de cérémonie réservés aux femmes et aux jeunes filles, tels que les répertoires nuptial et funéraire. C'est pourquoi, lorsque nous nous mettons en quête des soi-disant « puits de chansons », nous nous adressons de préférence aux femmes.
 
Je ne suis ni mathématicien, ni économiste, mais je ne crois pas me tromper en disant que les sommes affectées partout pour une seule année aux préparatifs militaires suffiraient à peu près à subventionner la collecte de la musique populaire du monde entier.
 
Béla Bartók  (écrit en 1936)
(Source : Revue Française de Musicologie)
 

 Ph BelaBartok 
Photo : Béla Bartók en costume de voyage
au départ de son premier voyage
en Transylvanie pour étudier la musique
populaire
 
 

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